Après plus de vingt réunions en deux ans et six jours de grève et de manifestations, Édouard Philippe avait annoncé qu’il révélerait « l’intégralité » du projet de loi gouvernementale réformant notre système de retraite solidaire pour le remplacer par un système par points.
Ce 11 décembre, au Conseil économique, social et environnemental, il n’a fait que redire ce qui avait déjà été annoncé malgré une contestation au plus haut.
Citer, comme il l’a fait, l’esprit et les valeurs du Conseil national de la Résistance relève, à la fois, au regard de son projet de réforme, de la démagogie et de la provocation ; car ce qu’il confirme, c’est bel et bien un projet de régression sociale où chacun devra travailler plus longtemps pour des pensions au montant aléatoire.
Le projet de loi sera « prêt à la fin de l’année », soumis au conseil des ministres le 22 janvier et discuté au Parlement fin février. D’ici là, la mobilisation se poursuit, au point que la CFDT elle-même, pourtant favorable à un système par points, a dénoncé le plan gouvernemental et annoncé qu’une ligne rouge était franchie.
Travailler plus
Le Premier ministre a confirmé sa volonté de maintenir l’âge légal de départ en retraite à 62 ans, mais en créant un « âge d’équilibre » à 64 ans dès 2027, avec « un système de bonus-malus (…) qui incitera les Français à travailler plus longtemps ».
Ceux qui voudront prendre leur retraite à un âge raisonnable devront donc en payer le prix fort par une décote et des réductions de leurs pensions. Et ce, malgré le chômage qui frappe déjà les séniors ainsi que la précarité que subissent les jeunes arrivant sur le marché du travail.
Les plus jeunes trinqueront
Espérant diviser le mouvement et calmer la colère des moins jeunes, comme s’ils n’avaient pas d’enfants ou se désintéressaient de leur avenir, Édouard Philippe a annoncé des entrées différenciées dans son nouveau système.
Ainsi, les Français nés avant 1975 « ne seront pas concernés », la génération 2004 « qui aura 18 ans en 2022 » sera « la première à intégrer le système » et pour les autres « la transition sera très progressive », avec une partie de la retraite calculée selon le système actuel pour « la partie de carrière effectuée jusqu’à 2025 » puis selon les nouvelles règles pour le reste de la carrière.
Les plus précaires le resteront
Pour les enseignants : le flou est maintenu
Les enseignants le savent : ils font partie de ceux qui ont le plus à perdre avec la réforme gouvernementale, notamment parce que le niveau de leurs pensions serait calculé non plus sur leur traitement brut de base des six derniers mois d’activité, mais sur toute leur carrière, en dépit de niveaux de salaires très bas dans les premières années. Leur niveau de pension est donc mécaniquement amené à baisser.
Le Premier ministre a annoncé une garantie inscrite dans la loi selon laquelle « le niveau des retraites des enseignants sera sanctuarisé et comparable au niveau des retraites des fonctions ou des métiers équivalents dans la fonction publique », indiquant « nous engagerons avant la fin du quinquennat les revalorisations nécessaires pour maintenir le niveau des pensions » des enseignants, une revalorisation progressive commençant en 2021.
Mais son ministre de l’Éducation a évoqué 400 à 500 millions d’euros par an. Or, selon les chiffres du ministère, on compte plus de 1 145 000 de personnels dans l’Éducation nationale, dont 870 000 enseignants dans le primaire et le secondaire. Le calcul est donc vite fait…
Alignement par le bas
« Le temps du système universel est venu. Celui des régimes spéciaux s’achève », a également annoncé quasi triomphalement Édouard Philippe, qui a cependant confirmé que les pompiers, les gendarmes, gardiens de prison ou les militaires conserveraient les bénéfices liés à l’âge.
Certes, là où le locataire de l’Élysée avait proclamé qu’il ne voulait pas parler de pénibilité, son Premier ministre évoque la possibilité pour les « métiers usants » de partir « deux années plus tôt ».
Ce qui revient cependant à travailler plus longtemps que ce que permet aujourd’hui le travail permanent sous un tunnel pour les conducteurs de métro par exemple. Surtout, sa conception de l’égalité consiste à aligner l’ensemble des salariés sur le moins-disant social et non l’inverse. Curieuse conception de la justice sociale.
Les cadres pénalisés
Le gouvernement qui a supprimé l’ISF et maintenu le CICE, sans contreparties, veut aussi taxer davantage non pas les bénéfices des entreprises, mais les cadres. Ainsi, le taux de cotisation sera-t-il le même pour tous, mais les cadres qui gagnent plus de 120 000 euros par an devront payer une surcotisation.
« Partenaires sociaux » sous tutelle
Édouard Philippe a-t-il cru apaiser les inquiétudes sur la valeur du point, indexé sur les salaires, en affirmant que la gouvernance du système pour un « retour à l’équilibre financier » sera confiée aux « partenaires sociaux » (donc au paritarisme syndicats-patronat) dès l’an prochain ?
En réalité, c’est une mise sous tutelle qui s’annonce puisqu’il ajoute qu’ils seront sous contrôle du Parlement et que « si les partenaires sociaux s’entendent » sur la trajectoire financière voulue, « le gouvernement la prendra à son compte » ; sinon, il reprendra la main comme il l’a fait récemment sur l’assurance chômage où, faute d’accord, il a imposé une réforme drastique des règles d’indemnisation.
La mobilisation s’amplifie
« Les garanties données » justifient que la grève « s’arrête » a cru pouvoir proclamer Édouard Philippe à l’issue de sa présentation. Comme un manque de lucidité sur les exigences des salariés.
« Le gouvernement s’est moqué du monde (…) Tout le monde va travailler plus longtemps, c’est inacceptable », a réagi Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT.