Interview* d’Alain Becquerelle conseiller en assurance, CSSCT CSE CGT référent harcèlement Macif / Fédé CGT Banques et Assurances, président du Conseil des Prud’homme de Beauvais, formateur Prudis.
* interview réalisée par téléphone par Céline Bridoux
Comité : Comment se passe l’activité syndicale en période de confinement ?
Alain : Comme beaucoup d’élus CGT, je suis depuis deux mois en « hotline » quasi-quotidienne avec des salariés de plusieurs entreprises dont la mienne. Au début, c’était pour l’interprétation des arrêts préfectoraux sur les déplacements dans les clusters, quand la Préfecture et l’ARS balbutiaient des réponses contradictoires. Des employées s’inquiétèrent des risques de contamination sur leur lieu de travail ou en s’y rendant. Des employés de la CPAM voyaient des malades venir déposer des arrêts de travail pour suspicion de Covid alors qu’ils n’avaient aucune protection. Puis vinrent des questions sur les possibilités de rester à la maison pour garder les enfants, des interrogations sur le droit de retrait. Tout s’est accéléré, le confinement a assommé des personnes déjà très inquiètes. Le télétravail massif a été mis en place avec des employés encore hébétés.
le confinement a assommé des personnes déjà très inquiètes. Le télétravail massif a été mis en place avec des employés encore hébétés.
Alain a fait un questionnaire informatique pour les télétravailleurs. Des difficultés reviennent en évidence. L’ergonomie est malmenée, la tête penchée en avant sept heures par jour, des douleurs le soir. Alain cite l’exemple « d’une femme qui télétravaille dans sa pièce de vie et qui a l’impression que son travail ne la quitte plus. » Il faut remarquer que cet effet parfois toxique du télétravail est décuplé car les personnes ont l’interdiction de sortir.
effet parfois toxique du télétravail est décuplé
Le télétravail rappelle tristement le vécu des employés de société de nettoyage isolés dans les entreprises utilisatrices, sans collectif de travail et face à des supérieurs hiérarchiques dont certains dépassent les bornes.
Dans l’urgence et sans qu’on leur demande leur avis, certains se voient imposer de travailler chez eux quelques soient leurs possibilités. « Une salariée télétravaille par terre, un salarié sur sa planche à repasser. Une autre qui travaille habituellement sur trois écrans de plus de vingt pouces télétravaille sur son seul écran de 13 pouces, sans souris. » Elle a mal aux yeux le soir. L’utilisation de téléphones et d’ordinateurs personnels est imposée ainsi que le téléchargement d’applications intrusives. Les télétravailleurs n’ont pas été formés au télétravail, à ses limites et aux précautions à prendre. Leur « employabilité » est facilitée par une avalanche de dispositions règlementaires, les IRP sont court-circuitées.
Leur « employabilité » est facilitée par une avalanche de dispositions règlementaires, les IRP sont court-circuitées.
Cette période de télétravail révèle aussi que les organisations syndicales ont souvent des difficultés à maintenir le lien entre elles et les travailleurs. Les employeurs ne remettent évidemment pas les coordonnées des élus aux télétravailleurs. Souvent, les réunions d’instances sont remplacées par des conférences téléphoniques informelles et sans traces.
Concernant ton rôle au sein des Prud’homme que remarques-tu ?
Alain : … qu’il est restreint. Le Conseil des prud’hommes (CPH) de Beauvais, qui est hébergé par le Tribunal Judiciaire (TJ), fait hélas partie de ceux en France qui sont inactifs.
Comment cela est arrivé ?
Depuis le 1er janvier et parce qu’il y avait un TGI à Beauvais, les moyens de greffe du CPH de Beauvais avaient fusionné avec ceux du Tribunal Judiciaire (ex TI et TGI).
Mars 2020, l’arrivée en stade 3 implique le maintien des activités essentielles de la justice prévu par le Plan de Prévention et de Lutte contre la Pandémie d’octobre 2011. Quelles sont les activités essentielles ?… le Plan ne le précise pas.
Le 16 mars 2020, Madame la Garde des Sceaux Ministre de la Justice adresse un message mentionnant les activités judiciaires essentielles et à poursuivre ; celles du CPH n’y figurent pas.
le CPH est empêché d’exercer.
Aussitôt, le Président du TJ de Beauvais limite les activités de sa juridiction. Il décide aussi de ne plus ouvrir le Palais de justice aux activités du CPH de Beauvais. Au moment où, ailleurs, des TJ accueillent des CPH dont les locaux sont fermés pour qu’ils continuent de fonctionner, à Beauvais, le CPH est empêché d’exercer.
Dans les jours qui suivent, le gouvernement réalise que la situation dure cependant que des salariés attendent des décisions et que ces nouvelles conditions de travail donnent naissance à des litiges.
Le 25 mars, une Ordonnance prévoit, entre autres, le maintien et les aménagements possibles des audiences civiles, dont celles prud’homales qui sont nommées.
Je relance notre greffe habituel. Je fais un Plan de Continuité d’Activité que j’envoie à la Cour d’appel. Le mode opératoire respecte la distanciation physique, fait s’exprimer les personnes depuis leur place sans les faire s’avancer à la barre, limite le nombre des affaires par audience, privilégie le volontariat parmi les conseillers, prévoit de doubler le nombre de pièces pour éviter les échanges, …etc. Je m’adresse aux conseillers. Il y a suffisamment de volontaires des deux collèges pour assurer les audiences.
La notion d’urgence est écrite et prévue pour les Référés (R1455-5 CT). La possibilité, par exemple, pour les CPH de prendre une décision palliant l’absence de remise d’un attestation Pôle-emploi dès le Bureau de Conciliation et d’Orientation (R1454-14 CT) montre que les CPH permettent de remplir le réfrigérateur. À la CGT, nous pensons qu’il y a urgence lorsqu’un salarié ne perçoit plus de salaire et qu’il appartient aux CPH de s’organiser tout en protégeant l’ensemble des intervenants. C’est ce que prévoit l’Ordonnance du 25 mars. Notre DLAJ a déjà saisi la Chancellerie et des Cours d’appel.
« Le greffe me dit que les gens restent chez eux et qu’il n’y a pas de requêtes… alors que je sais que des justiciables venus avec leurs requêtes se sont vu refuser leur dépôt. »
À Beauvais, le Président du Tribunal Judiciaire, qui héberge le CPH, réitère sa décision de protéger en empêchant nos activités. Il maintient son refus de rouvrir les portes aux activités du CPH et de fournir des personnels de greffe. Pas sans arguments, il considère que, en période de pandémie aussi grave, il faut d’abord protéger les vies. Il estime que les litiges au travail et même l’absence de salaires ne relèvent pas de l’urgence actuelle quand des vies sont en péril. Il exprime que l’urgence judiciaire doit servir à sauver des vies, pas à en mettre en danger. Il se dit soutenu par la Cour d’appel, laquelle ne m’a pas répondu.
À Nîmes où le CPH est également fermé, des avocats se préparent à assigner l’État. Ils perçoivent peut-être encore plus que d’habitude que leurs clients ont besoin de décisions qu’eux-mêmes ont vu le confinement arriver alors que la plupart des Barreaux venaient de s’épuiser dans un mouvement de grève pour sauver leur régime autonome de retraite.
Nous ne cessons de penser aux justiciables qui attendent.
Des affaires vont surement arriver à la suite de cet épisode de pandémie. Les récentes décisions du TJ de Nanterre dans un litige opposant une célèbre entreprise de logistique et de celui de Lille dans une affaire liée au risque Covid au travail sont remarquables. Elles font référence aux précautions règlementaires prévues en cas d’exposition à un risque biologique, quand bien même le facteur biologique n’est pas un agent employé par un mode opératoire de production.
Nous travaillons en ce moment à la reprise du CPH. Nos mains sont liées et il semble que les audiences prud’homales ne reprendront pas avant le mois de juin. D’ici là, nous tenterons de statuer exceptionnellement (nous tenons ordinairement à l’oralité) sur pièces, y compris pour les audiences qui ont été annulées depuis le 16 mars. Nous ne cessons de penser aux justiciables qui attendent.